Mon Bel Epistolier,
Figurez-vous que les Anglais eurent un jour l’étonnante idée de publier les lettres d’amour écrites par les armées de Napoléon à la seule fin de nuire dans l’esprit public à l’expédition d’Egypte. On y voyait un soldat français dépaysé, sevré de vin clairet et de payse. On y voyait un général s’ennuyer diablement après ces mêmes bagatelles. On y entendait grogner le fantassin. Mais celui-ci grognait déjà à Malplaquet ; il grognait encore à la suite de la Pucelle ou de Bayard ou du Maréchal de Saxe. Il grognait parce qu’il manquait de pain, il grognait parce qu’il manquait d’amour. Est-il donc déshonorant d’avoir le cœur chaud quand on est soldat et, qui plus est, sous le ciel d’Egypte ? Toutes les lettres n’étaient pas, certes, écrites par des maris à leurs tendres épouses et il se trouva évidemment que quelques sédentaires restés en France apprirent ainsi en deux langues leur irréparable infortune. Puis la Grand Armée arpenta les plaines neigeuses de Russie. Dans la correspondance de ces braves gens, que d’admirables figures, de bons troupiers, d’amants imperturbables, de maris délicieux ! Car tous les ménages ne sont pas à l’image du ménage Junot, Dieu merci !
Ecoutez Morand, le comte Morand, général de division, grand officier de la Légion, grand-croix de la Réunion, Quadragénaire, comme on disait alors :
« J’attends avec impatience la nouvelle de tes couches. Que le Bon Dieu te protège comme il m’a protégé dans les batailles. Bonjour, Emilie adorée, charme et bonheur unique de ma vie, je te presse mille fois sur mon cœur qui t’adore avec nos enfants chéris. Ton époux qui t’adore, ne vit et ne respire que pour toi. » Quel esprit, quelle fierté, quel amour, quel homme !
Non vraiment, la température n’influe pas sur le sentiment, pas plus que l’âge, tous comptes faits.
Votre Sévigné
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