Monsieur de la Ferratalho, le forgeron, accompagné d’une gentille chienne blonde, vient boire un verre d’eau fraîche à la fontaine (officiel prétexte) et me demande tout de go s’il est vrai que le maçon de Ninive va refaire le toit : lui-même qui l’a fait travailler, trouve que l’homme pratique des tarifs plutôt salés et qu’il a trouvé un artisan de Toulouse autrement raisonnable, qui lui recrépira la façade. La conversation en vient vite au sujet qui le tient tout entier : l’agriculture est un dur métier et qui ne s’improvise pas. Trouverai-je aisément un métayer pour faire tourner la propriété ou ai-je dans l’idée de m’occuper moi-même de tout ? “De toutes façons, c’est moins facile que de tenir un porte-plume”, me lance-t-il mi-goguenard, mi-inquiet. Il me semble, de nouveau, entendre la voix rocailleuse de ce porte-glaive audois de la REFAS m’accusant, à l’image du premier saltimbanque venu (ô Jean Gabin !) de me contrebalancer de l’avenir des petits agriculteurs de nos régions et à qui je m’étais permis, en retour, de demander — dans la langue de mes aïeux — combien il comptait lui-même de gisants dans le petit cimetière où repose ma famille et mon arrière-famille et mon arrière-arrière famille depuis “milo nau-cent jaoupos”, comme disait à l’occasion ma grand-mère Marie, qui ne s’embarrassait pas toujours de sourcilleuse comptabilité, tout à l’opposé de son frère cheminot Pepi ’Stieni, comptant et recomptant, tels ses blancs moutons d’autrefois, les noires locomotives haletantes (avec un faible pour la 801 !) en partance pour Saint-Couserans via la rampe du magnifique Viaduc de Vernajoul et les tunnels de Cadarcet (“quai d’Orsay !”, comme disait Monsieur de la Fourche) pour la traversée desquels Marie de Sarbos, qui n’avait pas connu l’école, allumait rituellement une bougie.
Les campagnes se dépeuplent et se repeuplent, les citadins reviennent dans les villages-fantômes, les bisons réoccupent les plaines, les Indiens s’élancent de leurs “tepees”, arcs et flèches en mains. On redécouvre l’artisanat, on fait tourner les moulins d’autrefois, on ouvre des échoppes, on ravive les fours effondrés pour y cuire le pain nouveau, on réactive la langue de nos pères et leur foi sans mélange et l’on chante dans les sillons comme la première Emma Calvé venue qui encourageait ses frères au labour, sachant de quel concours est la voix, souveraine à troubler les cœurs du beau monde, sinon celui du Diable de Rennes-le-Château.*
*Cf : Les Saltimbanques, Opérette de Louis Ganne (1862-1923), créé à Paris à la Gaîté Lyrique le 30 décembre 1899
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