Les poiriers, dit-on, peuvent vivre deux siècles et plus, et sont capables de s’élever au-dessus de soixante pieds tout en couvrant de leurs branches une superficie de terrain égale à leur hauteur. On les affuble de noms charmants : le Moque-friand, le Robin ou gris cochon, le Raguenet, le Mantrissotin, le Sabot, le Maillot, le Sauger, le Corisi qui fournissent un excellent poiré ; les poires à couteau on les appelle Blanquette, Crassane, Mouille-bouche, Messire Jean, Echarsens, Castillac, Gros-Râteau ou Cuisse-Madame ; mais aucune de ces variétés ne vaut la “poire de curé” dont l’oncle de Monsieur Piquependre, l’ecclésiastique, se régalait entre le fromage et le café, breuvage dont il était fort amateur, oubliant ainsi les schismes, les hérésies, les Jansénistes ou autres Parfaits (“pas plus parfaits que n’importe quel parfait au café d’ailleurs”) ou même ses plus secrètes ambitions méchamment entretenues par sa Gouvernante qui se vengeait ainsi de quelque bouillon qu’on lui disait être moins bien réussi que celui du précédent dimanche : “qu’attendez-vous pour être Cardinal ?”, lui répliquait-elle, désinvolte, “comme Candale, le troisième fils de Marguerite de Foix !”
L’oncle de Monsieur Piquependre savait bien qu’on ne donne pas un chapeau rouge comme ça, fût-ce sur les instances d’un cordon bleu et il évoquait, sur le champ, Xanthippe que Socrate, aurait, disait-on, goûtée avant la ciguë. Mais Socrate, c’était la Grèce, le cardinalat se satisfaisait de Rome et l’oncle de Monsieur Piquependre n’aimait pas les voyages, lui qui rentrait crotté et fourbu d’une visite à son Doyen à deux lieues de Chêne Planté — pas plus qu’il n’appréciait l’ambition de ces jeunes tonsurés pour qui le voyage de Tolosa n’était, comme il disait que “jeu de mollets pour jambettes”. Non que ses jeunes confrères se rendissent au théâtre pour voir et entendre les farces de Poquelin et les rires de Madeleine et d’Armande sa fille (Jean-Baptiste et les deux femmes pérégrinant toujours ensemble) du temps où ordonnances épiscopales et arrêts parlementaires se succédaient, proscrivant les nudités de la gorge, même si celles-ci n’étaient que fluctuations de mode ; mode si répandue d’ailleurs pendant un demi-siècle qu’il fallut brandir la menace d’excommunication contre celles qui se présenteraient au confessionnal ou à la Sainte Table, le sein découvert, menace compliquée de suspens contre les prêtres réguliers ou séculiers qui les admettraient en cet état (ou même caché !) ... Prescriptions que Moussu le Vicomte de Fountaraillos résumait chastement ainsi à l’adresse de son accorte servante : “Qu’es aco que toun gan manejo, aco soun dos bolos de néu, Friando se voi qu’on te créjo amago te le sé pu lèu” (Qu’est-ce donc que ton gant tripote ? Ce sont là deux boules de neige. Friande si tu veux qu’on te croie, cache-toi le sein plutôt).
Nul n’était censé ignorer la Loi (Jean-Baptiste Poquelin avait, d’ailleurs, commencé des études de droit), comme le rappelait opportunément Tartuffe (ou était-ce Michel Baron ?), mais nul, non plus, ne pouvait empêcher ces dames d’avoir les fesses en poires, “les plus succulentes ”, assuraient les barons du Second Empire, tout en affûtant leur couteau à dessert.
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