La parcelle de Dieu, on la distingue très nettement depuis le seuil de la maison de Monsieur Piquependre. On en voit le fier clocher de pierres grises et le toit aux tuiles antidérapantes tel que récemment refait par le maçon de Ninive car les Mirages/Mystères, en patrouille au-dessus des crêtes-frontières, ont la fâcheuse habitude de faire glisser ces tuiles. Le presbytère gîte un peu plus bas, presque en face de la maison du forgeron, et regarde l’ancienne auberge qui fut longtemps tenue par un solide militant moustachu du Parti qui aurait — raconte-t-on — hébergé l’un des mutins de la Mer Noire. L’auberge n’héberge plus personne. Le presbytère a été vendu à des vacanciers.
Le samedi après-midi, le curé d’une paroisse voisine vient, de temps en temps, dire la messe que les aïeules d’autrefois écoutent tristement en se remémorant les gestes de l’abbé C. et sa façon courtoise de les congédier par un “ite missa est” et aussi les frasques de l’abbé D. jetant sa soutane aux orties et partant à grandes enjambées empantalonnées à la chasse aux caillettes ...
Non qu’il faille en conclure que les serviteurs de Dieu soient des fricoteurs et qu’ils adorent gobelotter lorsque, isolés dans leur presbytère, ils éprouvent le besoin de se voir, de se confier leurs déceptions et leurs peines et que, quatre ou cinq fois l’an, ils reçoivent, en bonne et fraternelle hospitalité, la visite de confrères ou bien qu’ils se rendent à quelque conférence ecclésiastique ou qu’ils débouchent quelque bouteille de vin blanc de Gaillac doux, prélevé sur le stock de vin de messe ne rappelant, certes en rien, les anciens vins grossiers du Vatican, seuls capables d’étancher la soif des ivrognes, des libertins et des fripons, et de tous ces piliers de cabarets, ces “ibrouïgnos damnats” (ivrognes damnés), si bien dénoncés et condamnés par le Père Amilha, chanoine de Pamios, en sa bonne chaire de Notre-Dame du Camp : “Aprep la bouno chero e’ les bounis boucis, succedo la misero, les plours et les soucis, sourtin del cabaret deja mori de set...” (A la bonne chère et aux bons morceaux, succèdent la misère, les pleurs et les soucis ; sortant du cabaret, déjà je meurs de soif ...).
L’angélus du soir tinte de son soprano d’airain ; au lointain fument les cheminées et les ombres grandissent qui tombent des montagnes. Le fils du forgeron, pour arrondir son budget, a accepté le poste de carillonneur en sus de celui de fossoyeur qu’il occupait déjà, en attendant peut-être de quitter un jour l’enclume au profit d’une Ecole de cithare, instrument dont il maîtrise artistiquement les cordes.
La parcelle de Dieu jouxte le petit arpent du Bon Dieu qui ne retrouve vie qu’à l’appel des Derniers Services tintinnabulés par ce Vulcain junior : croix, croix, crois, crois, croâ, croâ, lancent les corbeaux en s’enfuyant à tire d’ailes “loin du gibet où fut par sa chair suspendu l’auteur de la chair”, sous le regard méfiant de Jasotte *, la fille au tablier bleu, qui sait identifier toutes les tombes et dont le fils du meunier — et son Priape * de compagnon dont rien n’habille le bas-ventre — soupèse les seins, (comme elle-même palpe les globes de la belle allemande blonde sous la douche), en l’expectative de ce “pilon entre les aignes, qu’en riant, elle ne dédaigne”.
*Jasottte Cf : D’un Moulin l’autre
*Priapus ou Priapos (grec ancien). Dieu mineur rustique de la fertilité, protecteur du cheptel, des arbres fruitiers et de l’appareil génital masculin.
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