Là-haut sur les plateaux du Comté d’où les eaux vont à l’Arize comme elle-même va au Royaume, là où les hivers durent huit mois, le Chevalier de la Grésalle, baron d’Alzen, sorti des forêts où il ramassait bois de chauffage et troncs à construire tout en combattant l’âpreté de la terre par l’acharnement qu’il mettait à faire venir pommes de terre, betteraves et maïs chétif le plus souvent sacrifié à l’engraissement hivernal des vaches de la petite propriété familiale, le Chevalier d’Alzen, au cœur de sa Baronnie, fluctua toujours entre les séductions du Royaume et l’austérité du Comté. Ainsi se consacra-t-il d’abord à la réparation des chariots du château dont les essieux délabrés soutenaient avec peine, sur les ornières de terre rouge, les roues cerclées de fer, tels que Guillaume Ruth, qu’on appelait encore Rubens d’Alzen, les lui confiait à la demande expresse de la Comtesse (il en était payé de quelques pièces d’or), avant de prendre femme dans le Royaume, en la cité-Evêché, inféodant en cachette certains de ses “vacants” et cela en haine du procès que Nescus et Montels lui avaient intenté, à lui qui buvait l’eau ferrugineuse de la Grésalle (qu’on disait venir du Taulat), procès que l’ennemi s’était partout “jacté” d’obtenir avec l’appui des Mascaronnades du prieur d’une abbaye voisine et de ses nonnes en mal de Scarronnades.
Le Chevalier d’Alzen avait donc laissé derrière lui les hameaux qui saupoudrent les collines du Comté et les vaches à robe claire pasturant dans les vertes prairies à l’entour de la petite chapelle, non sans avoir auparavant construit de ses mains une hobereautière faite des meilleures futaies du bois de Plamaroux, forêt du Roy, abandonnant taillis mauvais, broussailles et autres ronces aux manants charbonniers des Forges de l’Arget du Consulat de Foix ou de la vallée de la Barguillère, et privant ainsi du moindre recours les charpentiers de sa Majesté qui fabriquaient, à peu de frais, les galères à l’usage des Forçats de la Foi de Bourg-l’Asile ou les vaisseaux de haut-bord à la gloire de Louis le Divin, voguant vers les rivages desséchés d’une Barbarie indéfiniment recommencée.
Après la bataille de Pavie, le Chevalier d’Alzen versa lui aussi son écot pour le rachat du Souverain, avant d’ouvrir échoppe (Gazettes et Hypocras) sur les hauteurs du Castella, à quelques pas de la Cathédrale, boutique où les chalands lui parlaient parfois d’inquisiteurs monastiques, d’évêques diocésains, sinon de l’austère Cistercien de Canté, près Sabardu, futur Benoît XII que les hérétiques, sotto voce, nommaient “Diabolus”, ou du curé de Vira pour qui la torture était pain quotidien : chevalet, estrapade, brodequins et autres aménités dont le Mur, spécialité alamande ; ou encore des pèlerinages, flagellations, croix de feutre jaune, langues de drap rouge qui désignaient à la vindicte publique les mal pensants ou les sorciers moyens (ô Baruch !). Le Chevalier d’Alzen se souciait peu, disons-le, de ces “carnavaleries” et se contentait d’attendre le temps des cerises et le retour de ses propres cures à Lamalou-les-Thermes où d’après les “lausengiers” mitrés du Félibrige et les Bécassines des couvents du CNRS, le père du Petit Chose aurait soigné, incognito, une maladie des mieux génétiquement transmissibles...
Mais tous ces motards de la Foi n’avaient pu altérer la course du Chevalier d’Alzen qui, de la porte d’Orléans aux faubourgs de Loumet, fouettait impitoyablement ses chevaux mécaniques, ignorant superbement et les salamalecs et les génuflexions gymnastiques des versets de la Bible, tels que savamment pratiqués en un même Club “Mare Nostrum”, tant par les chevaliers de la Croix que par ceux du Croissant.
Ainsi, bon an, mal an, la vie allait-elle son train, jusqu’au 14 septembre, date de la Fête votive en la Baronnie, accompagnée de festivités auxquelles le Chevalier d’Alzen n’omettait jamais de faire honneur afin d’y retrouver, à l’ombre des ormeaux centenaires du Communal et après quelque battage à l’ancienne, scandé par les hoquets d’une antique machine que lui-même remettait sans cesse en état de servir, les amis de toujours, c’est-à-dire ceux du Comté et ceux du Royaume, unis en une même poussière, ceux qui le firent tel qu’il fut et tel qu’il restera pour ceux qu’il aida, qu’il aima et qui, peut-être, le lui rendirent.
Notes :
Canton de la Bastide de Sérou. (61 habitants ; 3kms ; 428m d’altitude).
Canté près de Saverdun (Sabardu), à 5kms de Toulouse où est né Jacques Fournier, Benoit XII, 1er pape d’Avignon, qui fit bâtir le Palais des Papes.
Canton de la Bastide de Sérou. (61 habitants; 3kms; 428m d’altitude).
Castella: Plateau du Castella, (Pamiers) devenu parcs et jardins et où se trouve actuellement le monument à Gabriel Fauré par Méric.
Citation: “O Baruch! ”Baruch, disciple de Jérémie (prophéties) Cf: Le livre de Baruch-Texte de la veillée pascale. Baruch écrit pour le peuple juif exilé à Babylone. Il pousse chacun à prier et à toujours espérer, il encourage le peuple juif déporté à poursuivre le culte qu’il rendait à Dieu autrefois au temple de Jérusalem.
Cf: Racine à Jean de La Fontaine:“Avez-vous lu Baruch? ”, expression devenue célèbre.
Claude d’Esplas (Le Parcellaire)
All rights reserved
|