La Mimine m’a réveillé ce matin à 4h ½. Elle a sauté par la fenêtre du premier étage, comme tous les matins, pour aller chasser. A 7 h, elle a gratté à la porte du rez-de-chaussée, comme tous les matins, à l’heure où je suis assis à la grande table devant le café de mon petit déjeuner, puis est venue déposer à mes pieds une énorme taupe ensanglantée que j’ai réussi à pousser sur la pelle à cendres et à faire disparaître avant qu’elle ne se pose de plus amples questions. Je sentais bien pourtant que la Mimine m’observait d’une sourire qui rappelle un peu celui du chat du Cheshire, bien que la Mimine comprenne mieux la langue de Schiller que celle de Lewis Carroll, car avant d’élire domicile en notre logis, elle résidait dans une famille allemande qui lui offrait le gîte mais pas le couvert, ce qui l’amenait à se nourrir elle-même et à nourrir aussi un demi-frère, un peu demeuré, mais affamé plus qu’à son tour.
" Wollen Sie eine kleine Tasse Milch ? ", avais-je poliment hasardé à l’adresse de la Mimine, un jour où elle venait de faire le tour de la cuisine au sol grossièrement carrelé et, me sembla-t-il, les papilles en mouvement. Elle avait acquiescé et, à compter de ce moment, je devins l’enfant de la Mimine…
Quelle ne fut donc pas ma stupéfaction lorsque je tombai, dans un vieux magazine anglais, sur cette lettre adressée au Premier Ministre (dont l’épouse ne fait pas mystère de sentiments bien imparfaits à l’égard des minous) par le fidèle lecteur de service :
" Avant de coller un lingot de plomb dans la tête de cette lamentable créature qui s’obstine à déposer sur le seuil de ma porte grives, merles, bébés-grenouilles ou autres canetons au sang, proprement estourbis, me permettrai-je de vous demander, s’il n’existerait pas quelque infaillible remède applicable à de tels félins-félons ? Incidemment, n’es-ce pas là, une nouvelle fois, preuve éclatante de la jobardise de l’homme civilisé que cette universelle idolâtrie à l’endroit de cette quintessence d’ingratitude, de paresse, de fourberie, de cruauté, d’indifférence, de duplicité, de traîtrise, de rapacité, de sournoiserie de comportement et de sur-prolifération : j’ai nommé, bien sûr, notre chat quotidien.Ne pourrait-on donc pas instituer une Semaine Nationale du Chat afin de réduire de moitié ces hordes pullulantes qui infestent notre Ile, initiative qui ne pourrait que grandement contribuer à de substantielles économies de lait sinon à la simple préservation de la qualité de notre sommeil ? ".
La lettre, signée Darling, était timbrée de St Martin d’Oydes (quelque part en Occitanie).
La Mimine, maintenant installée sur un coin de la table de bois de chêne verni fabriquée par Bob le fermier australien, de ses yeux verts, croise dubitativement mon regard non moins vert, mais gêné.
Claude d’Esplas (Le Parcellaire)
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