Naissance d’une nymphette ou les Aventures Souterraines d’Alice (au Pays des Merveilles)
C’est à Christchurch (Oxford) qu’exerçait également le maître de conférences Charles Lutwidge Dodgson. Il y enseignait les mathématiques et appréciait les charmes des petites filles dont Alice Liddell, la fille de son Doyen (et la mère de celle-ci ?), qui lui donna la matière de son livre : Alice au Pays des Merveilles (1865), publié sous le pseudonyme de Lewis Carroll et qui, après la Bible et Shakespeare, s’impose encore comme l’un des très grand succès de vente en librairie dans le monde anglo-saxon.
La curieuse passion de l’auteur, gentil monsieur qu’il devint par la suite, - abonné des chemins de fer et abondamment fourni en épingles à nourrice parce que les petites filles ont constamment besoin d’épingles - cette passion ne fut-elle vraiment qu’avunculaire ou faut-il voir là l’expression d’une irréparable déviation relevant plus des exploits de la Lolita de Nabokov que de ceux de la Zazie de Queneau.
Le catalogue de Lewis Carroll comptait, paraît-il, de deux cents à trois cents noms de fillettes, qu’à l’occasion, il photographiait nues, et hors la présence des mères, dans les soupentes du collège, non sans avoir préalablement demandé aux génitrices si leurs enfants étaient "embrassables", ce qui n’empêcha pas la maman d’Alice d’interdire toute visite de sa fille, et des sœurs de celle-ci, à ce mathématicien-photographe qui n’aspirait peut-être, dans son studio sous les toits, qu’à leur montrer les beautés des axiomes euclidiens, purs fleurons d’une science par définition asexuée.
Imaginons, en exemple, l’étonnement de la Reine Victoria qui, émue par les exploits de la Reine Rouge, avait demandé au Pr. Dodgson de lui envoyer ses autres ouvrages, lorsqu’elle reçut, en partage, The Statics and Dynamics of Particles et autres livres de géométrie analytique, de logique symbolique ou de trigonométrie, de la part d’un homme qui, comme elle, fréquentait la Société de Recherches psychiques où elle venait évoquer le cher fantôme de son Albert bien-aimé avant de s’abandonner aux guili-guilis de son gillie préféré.
Carroll, lui, était fermement contre tout pourboire aux domestiques de Christchurch, auxquels il refusait également tout cadeau de Noël. Officiel goûteur de vin de son Collège, il en conservait les anciens menus tout en estimant que MM. Les Membres de la "High Table" (la table des professeurs) mangeaient et buvaient trop, ce qu’il traduit dans Alice en racontant l’histoire de ces petites filles qui ne se nourrissent que de mélasse parce que la petite fille victorienne est le plus délicat des êtres qui ne grignote du bout des dents que quelques rôties beurrées saupoudrées de marmelade d’orange ; qui ne sait aussi – comme le dit d’ailleurs la chanson – que le sucre et les épices remplacent avantageusement dans la constitution de son organisme le calcium ou l’extrait de foie de veau de plus récente posologie. D’ailleurs Lutwidge Dodgson prêchait d’exemple : un verre de xérès et quelques biscuits lui servaient de dîner.
Mais là encore, on hésite. Carroll envie-t-il l’enfant à cause de l’asexualité de celle-ci ou bien est-ce parce que la femme en devenir constitue à elle seule un étonnant microcosme, microcosme à la Gulliver, qui présenterait l’unité sans fin d’un miroir ? En est-il arrivé à cet auto-portrait en ultime conséquence du souvenir aigu et meurtrissant de ses propres misères à la Public School de Rugby (et de ces immenses parties de ballon ovale au cours desquelles Alice voltige de mains en mains au risque de se noyer dans le fluide amniotique d’une mêlée qui n’arrive pas à l’enfanter) ou au rappel enfoui de Celle qui, la première et probablement la seule, apprit la trahison (I kissed her on the false false lips ! ) à ce jeune homme timide, grand, maigre, dur d’une oreille et dont la lèvre supérieure tremblait, et de surcroît affligé d’une voix haut-perchée qu’un bégaiement tenace débitait maladroitement ?
En tous cas, la fillette devait maintenant accompagner le Pr. Dodgson pour le reste de sa vie, sans bruit, sans emphase, jusque dans l’enceinte de Lady Margaret Hall (Oxford) où, en 1890, il enseignait encore la logique à des demoiselles de dix huit ans.
Au courrier des lecteurs de la presse anglographe, la polémique va toujours son train : Lewis Carroll était-il simple tonton-gâteau ou véritable amateur de fillettes . Disons que l’auteur d’Alice au Pays des Merveilles raffolait du Henry VIII de William Shakespeare & Co. mais n’alla jamais jusqu’à mentionner la Mégère Apprivoisée. C.Q.F.D ou est-ce là une question qu’il serait par trop indiscret d’aborder, comme il s’en excusait lui-même ?
Original Drawings in "Three Sunsets and Other Poems" by E. Gertrude Thomson, 1898
|