1967
Nous passons devant le Gaumont Palace, Palais du rêve, puis devant le Wepler où les “Offizieren” prennent leur petit déjeuner (tartines, tartines, beurre, confiture, croissants ... et café) en regardant d'un œil distrait la statue de la place Clichy. On a faim : on les admire.
L'Evêque en charge du Diocèse d'Appamea, ancien élève du Petit Lafayette, me confessera plus tard sa mignonne faiblesse à l'endroit des bonbons de la rue d'Amsterdam : trois Ave N'Esclarmonda absoudront ce Frère Pécheur.
1942, Petit lycée Lafayette - Il fait très froid. Tybalt sort la montre de son gousset et nous, on sort de classe. On vient d'expliquer : When icicles hang by the wall ... de Shakespeare. Le prof. de français nous a rendu une rédaction tout en nous vantant un grand romancier de la marine de surface Paul Chack (très différent du Corsaire sous-marin). Tassigny m'attend entre 2 classes : c'est pas moi qui vais au tapis.
Il fait chaud. Une fois par semaine, on va à la piscine du Vésinet via la gare Saint-Lazare. Le soir, avec Ravailhac et Tarentaise (le neveu de Tonton La Rate), on regagne nos pénates en passant devant le Gaumont Palace et le Wepler où le matin, derrière leurs vitrines, les Fridolins déjeunent avec des tartines, du beurre et tout et tout. Les filles du quartier, elles, elles vont à Jules Ferru, place Cluchu.
Lundi 13 novembre - Charybde promène son faciès dans la cour d'honneur : costume gris anthracite et cheveux bleus. Cheucheu occupe le quartier Sud, bras ballants. Fiche de correcteur du bac à remettre avant le 20 novembre. A midi, j'échange quelques propos avec Le Jurassique qui me signale un Miroton-Navets Caraïbéen faisant trembler des gens ayant vingt ans d'enseignement derrière eux. " Je ne suis pas raciste ", jure-t-il, " mais ça, c'est inadmissible ! ".
Mardi 21 novembre - Aujourd'hui, Monsieur Le Jurassique craint l'arrivée d'un Miroton de lettres. " Des fumiers ! ", éructe-t-il, entre deux hoquets fleurant bon la Bénédictine."Je leur dirai ce que j'ai à leur dire, et tout ça vient de ce que quelques vieux collègues leur accordent trop de respect! "
Le Trêma, qui fut autrefois inspecté en hypokhâgne par Cothurnus, pique une terrible colère parce que les élèves de Terminale B ignorent que Sully Prudhomme a écrit une piécette intitulée Le Zénith. J'en rajoute en lui rappelant que le Sully en question fut Prix Nobel de littérature, le premier d'une longue et inénarrable série à la gloire d'un “50 fois cocu”.
Scylla sort peu depuis sa Croix de Saint-Louis reçue pour services rendus à des générations de petits futurs décorés. Dans un coin de la salle des Professeurs, unis comme les deux moitiés d'un poisson, Laurel et Hardy s'interpellent au ras des oreilles, jouent du babil, se montrent des bourdes, menacent de quarantainer autrui, et ce, dans des envolées de dames patronnesses outragées.
Ragotin, dont le ressort des genoux se ploie promptement lorsque la flatterie peut en tirer profit, surveille la porte du bureau du Protale, tel un toutou fidèle qui grogne - et qui lèche.
28 novembre, 15 h 30 - Je croise Le Trêma, dans la cour. Je souris, il décolle : " savez-vous qu'ils ne comprennent pas les mots du cours, une fois sur deux, nos Terminales communes ; ainsi : parthénogénèse, anthropopithèque, pithécanthrope ". Le Trêma nage avec bonheur dans l'œuvre de Teilhard de Chardin et estime qu'aucun de ses disciples (Circonflexe excepté) n'est digne du Tableau d'Honneur.
1er décembre - Petite Histoire. Un jour qu'un taxi bavard me ramène Porte de Passy via la place de Colombie, le chauffeur, prodigue de confidences, m'affirme, lui, " résistant notoire et tout et tout ", que les cabanes jardinières bloc-béton-ciment en face de l'immeuble de Mektoub, auraient servi, aux années sombres de l'occupation, de “crématoriums” à l'essai. De quoi surprendre les tout premiers voisins, que cette vue de l'Histoire par le trou du rétroviseur !
Mardi 12 décembre - Conseil de classe pour les Terminales. Scylla, particulièrement en verve, demande s'il y a des professeurs sardes dans l'assistance, passe en revue les lycées de France qui portent le nom de Ziguinchor, fait des astuces maniérées - tandis que Charybde gémit : " vous allez me faire tromper ! " - s'extasie sur le professeur de philosophie reçu onzième à l'agrégation et qui ira loin, porte aux nues l'Institut de Pise (où se trouve actuellement la fifille de l'ancien ministre de l'Instruction Publique), Institut dont le niveau baisse, baisse (" va rien leur rester aux Bonnes Sœurs ", minaude-t-il), voue aux enfers un cours secondaire de Neuilly-sur-Marne gouverné par un ancien Proviseur qui a besoin d'argent ...
Scylla reprend la parole pour préciser qu'il leur enlèvera toutes les filles à l'Institut de Pise parce que " au contact de nos jeunes gens, elles s'épanouissent complètement ". Rictus d'un jeune professeur femme célibataire aux yeux régulièrement soulignés de bonheur. Et Charybde de conclure : " demain matin, nous allons à l'Hôtel Matignon ! " - " Je vais me laver, alors ! ", dit Scylla en se levant.
Mercredi 13 décembre - " Vous êtes une sale vache ", décrètent des Sixièmes à l'adresse d'une jeune femme qui les allaite au Pidgin-English. Passe un pion qui se saisit de l'un de ces cowboys hygiénistes.
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