Ma tendre raisonneuse,
Votre lettre philosophique a arrêté mes pensées sur les grands problèmes, quoique, à cause de l’infernal vacarme, il ne soit pas toujours aisé de fixer son esprit. Je regardais monter à la charge mes laboureurs de province, d’un pas aussi tranquille que, lorsque derrière leur charrue, ils pressent leur attelage qui va sans lenteur, ouvrant un rectiligne mais profond sillon. Je pensais aux croquants de l’Ancienne France que les Condé et les Turenne n’ont jamais su utiliser car, disaient-ils, « ils ne peuvent pas faire de bons soldats… Leurs âmes sont basses et lâches et leurs corps fatigués et recroquevillés comme ceux des nabots. » J’admets bien volontiers que la guerre est une occupation noble, mais notre siècle gâte tout. Et si nous n’avions nos croquants, ceux d’en face feraient en sorte que soient troublés les règles de la chevalerie la plus élémentaire. Et puis, lorsque, au sortir de la ville, nous aspirons au calme, vous savez bien, très chère, que nos meilleurs frissons naissent au cœur de leurs horizons :
« O pauvreté profonde et chaste des campagnes,
Fatigue des corps las qui se couchent le soir… »
Vous-même murmuriez ces deux vers si prenants.
Votre humble serviteur
|