Elle terminait toujours ses prestations publiques par le cri de : ‘Vivo Sant Gènt !’. Elle ne fut d’ailleurs pas la seule à confondre son patriotisme avec une vénération pour le jeune ermite du Beaucet ; un autre montilien , le caporal Adrien Bagnol (citation du journal Le Ventoux , 28 Février 1916) , assurant la liaison avec un corps voisin sous un feu d’artillerie intense, sortit des tranchées le 31 décembre 1915 au cri de : ‘Vivo Sant Gènt !’.
L’année 1870 avait divisé le village en deux clans ; les chars fleuris ou cavalcades défilaient tout autour de la ceinture de Monteux mais partaient , l’un de la Porte d’Avignon, l’autre de la Porte Neuve, afin de ne pas se rencontrer. Chacun avait son bal, ses Capulet et ses Montaigu. Seules possibilités de réconciliation : les concerts ou les traditionnels pèlerinages à
St Gens, de mai et de septembre, qui avaient traversé sans mal la Révolution de 1789 !
Le nom de Rosa Bordas attirait encore la grande foule ; elle avait fait construire à St Eugène, en Algérie, une modeste maison et participait à des manifestation au bénéfice d’œuvres de bienfaisance.
Mme Bordas revenait régulièrement à Monteux, ponctuellement chaque année vers la fin de sa vie où de 1898 à 1901 elle entretint une correspondance avec le Maître, Frédéric Mistral :
‘J’aurais bien voulu, lorsque j’irai vous voir, vous chanter, dans notre belle langue quelque chose de vous où j’aurais mis toute mon âme. J’aurais pu ensuite le chanter aux jeux floraux de Sceaux ou à la Bodinière’.
in : Las. Rosa Bordas à Frédéric Mistral - Saint Eugène, 23 mars 1898 (extrait)
Cher Maître,
‘Je vous destine le portrait que Grivolas m’a fait à l’âge de dis-sept ans… car c’est grâce à vous que j’ai connu cet artiste’.
in : Las. Rosa Bordas à Frédéric Mistral - Saint Eugène le 15 avril 1899 (extrait)
‘ … vous dis ma joie pour votre grand succès si mérité qui a eu écho retentissant à Alger, où Mireille est tant aimée’.
in : télégramme à Frédéric Mistral, Maillane, dépôt le 21 mai 1899
Touchée par le diabète, à demi-paralysée, l’artiste, en un dernier sursaut, quitta l’Algérie et se fit conduire dès son arrivée à Monteux, portée à bras d’hommes dans le fauteuil du Chef de gare, au pied de la statue du Saint qu’elle n’avait jamais cessé de prier, pour lui murmurer : ‘Bèu Sant-Gènt, vène mouri près de tu.Vivo Sant-Gènt !’ (Beau Saint-Gènt, je viens mourir près de toi, Vive Saint-Gènt !).
En ouvrant son testament public, le Sous-Préfet de Carpentras indique au Maire de Monteux quelles ont été ses dernières volontés : ‘Je lègue à la Fabrique de l’Eglise paroissiale de Monteux mon bracelet avec l’inscription en diamants ‘le travail à la Bordas’, à la charge par elle de déposer ce bracelet dans la chapelle de St-Gens à Monteux où il devra toujours rester déposé’. Le legs fut refusé par la Fabrique pour des raisons de sécurité, le bracelet vendu et transformé en deux chandeliers que la paroisse utilise lors des pèlerinages. (Séance municipale de délibération n° 86, le 14 juillet 1901, refusant cette libéralité).
Extrait du Registre des Archives de la Confrérie de Saint-Gens de Monteux :
‘Tant coume aurièu ama de revèire la Prouvenço ! mai tu mou cousin (Auguste Martin), diras à mon grand ami Mistral, en que me faguè tant de bèn, à touto la Prouvènço, que m’a tant aplaudi e qu’ame tant, que iè mande mou darriè poutoun !’.
‘Comme j’aurais aimé revoir la Provence ! mais toi, mon cousin, tu diras à mon grand ami Mistral, qui m’a fait tant de bien, et à toute la Provence qui m’a tant applaudie et que j’aime tant, que je leur envoie mon dernier baiser !’ (Rosa Bordas)
Rosa Bordas laissa ‘en héritage’ à Frédéric Mistral le portrait que Grivolas fit de la jeune artiste à 17 ans lorsqu’elle débutait à Avignon. ‘La place de ce portrait serait, je crois, au Musée Calvet dans la salle des illustrations vauclusiennes’ écrit ce dernier à Pierre Grivolas, peintre des us et coutumes provençales.
in : Las. Frédéric Mistral à Pierre Grivolas
Maillane, le 25 novembre 1901
Bibliothèque du Palais du Roure à Avignon - Lettres de Mistral A à Z , n° 8 (ms 8) page 91
|