Le colonel Bravadida, ancien de l’Ecole d’Uriage et, par conséquent, ex-collègue de ces gnafrons, dynastes du civisme chaussant les godillots du Grand Guignol qui passe, avant d’accéder — pontifes roulant du thoracique — à la Présidence des Jurys d’Ecoles de Saints Pères, allouant aux mieux disants du moment les parcelles d’une terre éternellement promise, le Colonel retraité au quartier de la Gare, à deux pas de la caserne de gendarmerie, éteignit son poste radio Philips 7 lampes, après avoir absorbé sa quotidienne ration de communiqués guerriers particulièrement reconstituants (“L’Obersturmführer SS Mikael Wittmann détruit 21 chars en 20 minutes” : du treize à la douzaine, se rengorgea-t-il) ou de concerts lénifiants, dont ses morceaux préférés : “L’Allemagne, une nation d’aviateurs”, tel que dirigé par le chef Seidel à la tête de la musique de l’état-major de la Luftwaffe ou encore le défilé des Femmes allemandes d’exception au Dôme de Lohengrin (les Gertrude Scholtz-Klink, les Hanna Reitsch, etc.) accompagné par le chef Klamberg, à la tête de la clique du commandant du “gross Paris” et cadençant - comme si ça ne suffisait pas - l’assourdissante marche de Bilse *: “Avec bombes et grenades”, tonitruante réponse, en serait-il, à tous ces dégénérés du tympan qui se gavaient l’oreille, à défaut du palais, des dindons et moutons de La Mascotte *, des âneries de Véronique * ou des canards de Marie Bizet* au Moulin Rouge (MON. 63.26) ; sinon martiale répartie à tous ces rescapés de la cataracte se rinçant les yeux aux rondeurs des “Nus 44” du Concert Mayol *, pour se mieux jouer, sans doute, des mesquineries de la carte officielle des points textiles, puisqu’on n’avait, soi-disant, rien à se mettre, ou à tous ces irresponsables, ignorant qu’à deux pas de là, l’Isolde du siècle faisait ses débuts en Chérubin de la Veuve Joyeuse *sur les planches du théâtre Mogador (Direction musicale Aimé Courtioux, à défaut de celle de Siegfried Wagner).
Le colonel Bravadida ouvrit son journal préféré, le mieux informé des quotidiens de l’Hexagone (“Si jusqu’ici nos outils avaient fait plus de bruit, les bombes anglo-américaines en feraient moins aujourd’hui” ou “Dans le Reich, votre existence et vos opinions patriotiques sont assurées et respectées” ou encore “Les chiens allemands sont mobilisés depuis le 16 octobre 1939, sans distinction de race”, déclarations qu’il souligna d’un fier coup de menton), jeta un œil sur le feuilleton des aventures du Général/Maréchal (ou vice versa) qui, selon la Colonelle (celle-ci lui reprochait inlassablement les lenteurs de son propre tableau d’avancement), “avaient bien réussi leur carrière, ces deux - là, en passant au Fil de l’Epée *
- le bruit en courait - les mêmes Mariannes”. Le colonel Bravadida sortit d’un pas martial dissimulant un début d’arthrose de la hanche que seul atténuait ce dépuratif conseillé par le Pharmacien de la Grand’ Place, qui, lui, se moquait bien du “Genastrin”, tant vanté par l’ennemi, mais qui assurait pourtant, objectivement, la promotion de “l’Enthanol” funeste aux mites, aux puces, aux punaises (sinon aux doryphores). Le Colonel souleva son chapeau en croisant la dame de Monsieur le Percepteur et regagna, à guêtres rabattues, son poste d’observation en son salon aux persiennes closes pour assister, en temps voulu et au garde-à-vous, à la relève de la Garde du Maréchal-nous-voilà *, telle que retransmise en ce 14 août matinal par Radio Vichy National.
*Marches de Bilse : Benjamin Bilse : Marches Valses Polkas Cf : WDR Rundfunkorchester Köln/ CD
* La Mascotte, opéra comique (1880) d’Edmond Audran (1842-1901)
*Véronique, opérette (1898) d’André Messager (1853-1929)
*Concert Mayol, 10 rue de l’Echiquier
*La Veuve Joyeuse. The Merry Widow. Die Lustige Witwe. Theater an der Wien (1905) Opérette viennoise de Franz Léhar (1870-1948)
*Le Fil de l’Epée - Charles de Gaulle (1932)
*Maréchal- nous-voilà… paroles d’André Montagard sur l’air de l’opérette La Margoton du Bataillon de Casimir Oberfeld. Interprété par Andrex et André Dassary. Le Maréchal-nous-voilà …était un élément majeur de la propagande de Vichy. Régulièrement diffusé sur les ondes de Radio Paris et de la Radio Nationale, joué et chanté dans l’ensemble des territoires de la France et de l’Empire en particulier dans les écoles mais aussi dans les chantiers de jeunesse, les casernes et les meetings de la Milice française.
Claude d’Esplas (Le Parcellaire)
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