Samedi 26 février - A Buc, Mme de Hérisson avoue deux déserteurs dans sa famille. Lui faire ça à Elle, Généraliste bon teint ! Je la console en lui rappelant que, autrefois, d'aucuns ont gagné Londres, d'autres la Louisiane et qu'en cas de gouvernement gauchiste les méchants garnements de la famille rendront leurs parents fiers, très fiers de leur Résistance.
Vendredi 17 mars - Conseils de classe de fin de trimestre. Une dame bien habillée et plutôt distinguée s'installe, en sa qualité de représentante des Parents d'Elèves de la Classe de 1re, à une table sur laquelle on peut lire : " L. = salope, 5e lampadaire, avenue Foch ". Madame Eloi pose pudiquement son sac à main sur ces précisions topographiques et note consciencieusement tout ce qui se dit sur les élèves de la section. On en arrive au cas de son fils : " paresseux, nul, toujours en retard ... etc. ", jusqu'à ce que quelqu'un fasse remarquer que la mère est dans la salle.
Samedi 18 mars - Les graffitis de Papi (suite). Salle 80 : " Les profs, c'est comme les poils, j'en ai plein le cul. " - " L'amour, c'est comme le camembert, il faut que ce soit bien fait. "
Mercredi 22 mars - Conseils d'Orientation, présidés par le truculent Cheucheu qui se met brusquement à raconter les aventures sentimentales de son ami le cinéaste Tête-Bêche avec qui il se retrouve dans les réunions d'Anciens Combattants : celui-ci est tombé amoureux d'une jeunette et, " parce qu'il a laissé traîner des papiers ", se voit tracassé par son épouse légitime. La rougeaude conseillère d'orientation ouvre des yeux ronds et horrifiés qui soulignent une laideur comme on n'en fait plus.
Jeudi 13 avril - Hier matin à 10 h 30, débarque dans ma classe une équipe de cinéma américaine (deux caméras, un preneur de son, une productrice). Il s'agit de reconstituer la vie d'une famille française par excellence, plus précisément celle de la Princesse de Goult qui, bien sûr, avait demandé l'autorisation de tournage à Cheucheu.
" Avez-vous des amants, Madame ? ", lui demande celui-ci. Stupéfaction de l'interpellée. " Votre mari, a-t-il des maîtresses ? " - " Non, Monsieur, je ne crois pas ! " - " Alors vous n'êtes pas représentatifs d'une famille du 8e arrondissement ! ", décrète Cheucheu.
Quant à moi, j'aurais été choisi : a) par souci de photogénie - b) parce que le lycée Papi " ch'est pas le chirque !... ".
Consolation ? J. Racine rimait des madrigaux pour préfacer les œuvres du duc de Maine, auteur de 7 ans d'âge.
Mardi 18 avril - A Papi, ce matin, explication de vocabulaire. Je demande à l'américain de la classe Andrew Kissinger ce qu'est “Bidon V”. Alors qu'il sèche (au soleil) un voisin lui souffle : " c'est un Pape ! ". Et chacun de se bidonner.
Samedi 22 avril - Du jeune Reynard, en classe de cinquième : " Monsieur, comment on dit gaga en anglais ? ". Etonnement de ma part. " Oui, c'est pour servir à ma grand-mère qui se pique de savoir l'anglais et qui arrête pas de m'embêter à table parce que j'ai les cheveux longs. "
Madame Daniel me raconte que Robert Le Fenil ne quitte pratiquement plus l'écran de télévision et qu'il absorbe tout jusqu'à trois heures du matin. Mais sa nouvelle épouse n'est-elle pas délibérément plus jeune que son romancier de mari ? Chaque âge a ses plaisirs et la vertu elle-même n'évite pas les piques de la calomnie.
Mai - " Ah ! vous chavez de belles chauchettes rouches ! ", remarque Cheucheu, en soulevant légèrement le pantalon de son voisin, Eminence Ecclésiastique invitée par les pieuses Dames du quartier ; Eminence aussi vigoureusement virile que son Immortel ancien le Cardinal de Richelieu et qui promenait Mimi et son jeune frère Toto dans son auto, entre deux séances de catéchisme Poissard. " Domino, mino, Domino minette ... ", comme chantaient les Talas du lycée des Jacobins, à Toulouse.
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