17 avril - A la clinique de la Solidarité, Porte des Lilas, je rends visite à Ragotin, vif écartelé lors d'une remontée à téléski dans les Dolomites. Il tient - comme tous les gens dans son cas - à me montrer sa “césarienne”, m'assure qu'il est entouré de connivences à tous les niveaux médicaux et administratifs de la clinique, jure qu'il a vu les sommets glacés des Alpes, du Cervin jusqu'au Mont-Blanc, lorsque l'avion sanitaire l'a rapatrié à Paris parce que le pilote tenait absolument à lui faire plaisir et termine en me rappelant qu'il a mis un 16,5 sur 20 à sa fille en allemand parce qu'il n'a pas réussi à lui trouver une seule faute dans son concours blanc ...
Survient le vice-président de l'Amicale, qui, pendant les vacances de Pâques, a tâté du saumon en Ecosse. Ragotin se lance aussitôt dans une description de l'Ecosse où, avec sa dulcinée, il a, elle a, ils ont ... Ragotin se construit des mondes de luxe dans lesquels il habite sans confort comme dans son domicile au-dessus des cuisines de l'Etablissement où il loge et dans lequel il vous invite à pénétrer pour apprécier des tableaux aussi faux que cette réplique de Van Dongen qui orne le mur de sa chambre de clinique. Avant son opération, Ragotin a écrit à deux Inspecteurs Généraux et aussi une autre lettre après l'opération. Ragotin se sent en règle avec lui-même. Ragotin est presque heureux. Au retour, dans le métro, le vice-président de l'Amicale me confie qu'il est au lycée Papi depuis 13 ans déjà et que ce lycée est ce qu'il y a de mieux dans le secondaire, mais qu'un vieux collègue à lui prétendait qu'il était bon de changer d'établissement tous les dix ans.
Lundi 27 avril - Journée de la déportation à la radio, à la télévision, au lycée Papi. De 1940 à 1945, la France entière a résisté. Pourtant ce matin, lorsque nous déterrons le mot “tomahawk” dans un texte américain, deux élèves me proposent triomphalement la traduction : “francisque” (à quoi pensent-ils ?).
Mardi 26 mai - Vu Ragotin, qui relève donc, on le sait, d'un écartèlement contracté aux sports d'hiver. Il y a quelques années, dans une classe du lycée Pasteur du Jura, alors que tout le monde s'affairait sur un thème anglais (du Valéry, en somme !), l'une de ses jolies élèves, au premier rang, col largement échancré, lui sort d'un coup de doigt un sein parfait et le rentre aussitôt (le temps d'un sein nu entre deux chemises ?).
9 juin - Juliette Le Fenil est " lion, ascendance lion ". Son mari est " vierge ", selon les comètes qui amènent d'importants changements dans les saisons.
Madame Ladouce, absente pendant quelques jours, se plaint que personne ne lui ait téléphoné dans sa retraite de Ville d'Avray. Elle prétend que, pour enrayer son rhume des foins, on lui a mis des piqûres " plein le cul " (c'est là l'une de ses expressions choisies, on l'a vu).
13 juin - Ce matin, au sortir d'un Conseil de classe, nous tombons sur l'Interallié qui attend sa lectrice dans le hall. Présentations : " vous avez bien bonne apparence, et vous seriez un linguiste ? " - Throca moronsus, cargo, cargo, cargo.
17 juin - En fin d'après-midi, Juliette Le Fenil fait des gorges chaudes à propos de la disparition d’ Eva Sextolet et des roucoulades de Navar. " Je ne crois pas à la monogamie des sentiments ", m'assure-t-elle. Elle me vante les exploits d’ Amoretti qui, à 82 ans, épuiserait une poularde de 22 printemps. Je lui réponds qu'il doit laisser tellement de chair autour de l'os, qu'il doit en rester assez pour banqueter à plusieurs.
" Navar vient chez Achille L. ", se gausse-t-elle, " en voiture noire du Parti, avec chauffeur à casquette. " " L. ", nuance-t-elle romantiquement, " n'est qu'une boîte de P D-(G ?), de salauds, etc. " (ô Docteur Destouches !). Elle en veut présentement à Cheucheu, rescapé de Tashkent/Sao Paulo, parce que celui-ci s'est permis de lui dire un jour devant les élèves : " depuis que vous jêtes mariée, vous me faites des jinfidélités ! ". Dès ce soir, elle a l'intention d'alerter son mari qui doit rencontrer un recteur (interviouveur de célébrités) pour faire " foutre à la porte ce Cheucheu de mes deux ! ".
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