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Tristan & Iseut de Bayreuth � Monsegur

 
Tristan & Iseut de Bayreuth à Monsegur Content : La légende de Tristan
L'histoire de Tristan : essai de reconstruction
La légende et l'histoire
Le Tristran de Béroul
Le Tristan de Thomas
Le Tristan de Gottfried von Strassburg
L'Ur Tristan
Le Tristan und Isolde de Richard Wagner
Concours de chant des Isolde (Mild und Leise / Liebestod / Tristan & Iseut / Richard Wagner)
English
French
German


Le Tristan und Isolde de Richard Wagner

 

Dès 1854, Wagner écrit à Liszt : “J’ai dans la tête un Tristan und Isolde ; c’est la conception
musicale la plus simple et la plus débordante de sève vitale ; avec le ‘pavillon noir’ qui flotte à la fin, je
m’envelopperai ensuite pour mourir”.
Le livret-poème de Tristan, commencé à Zurich en juin 1857, est achevé en septembre. Le
compositeur ayant toujours affirmé qu’il n’avait jamais eu d’inspiration musicale avant que l’idée
dramatique n’eût pris entière possession de lui, Richard Wagner travaille aussitôt à la partition qu’il
écrit à Venise et parachève à Lucerne (août 1859).
Texte et musique sont, on le sait, en aussi étroite corrélation que la vie de Mathilde
Wesendonck et celle du compositeur l’étaient à cette époque.
La première représentation de l’oeuvre n’aura lieu à Munich que le 10 juin 1865 : Hans von
Bülow dirigeait l’orchestre. Ludwig Schnorr von Carolsfeld et Malvina Garrigues, époux à la ville,
incarnaient Tristan et Isolde à la scène.
Le drame musical se déroule en trois actes et en les lieux suivants :
Acte 1 : En mer, sur le pont du navire de Tristan, pendant la traversée d’Irlande aux Cornouailles.
Acte 2 : Au château royal de Marke, en Cornouailles.
Acte 3 : Au manoir de Tristan en Bretagne.
L’odyssée des amants est célèbre mais Wagner a sérieusement remodelé la légende pour la
mieux adapter à la scène. Il s’inspire de Gottfried, certes, mais il reproche au clerc de Strasbourg de
n’avoir pris intérêt qu’à des épisodes narratifs ou anecdotiques, sinon digressifs.
Acte 1. Le jour.
L’action commence peu avant que le vaisseau commandé par Tristan n’atteigne les côtes des
Cornouailles. Il ramène au roi Marke sa future épouse, Isolde, dont le regard a déjà croisé celui de
Tristan. Lorsque le rideau se lève, Isolde qui aime Tristan sans se l’avouer, étendue sur le pont de la
nef, s’irrite aux paroles de la chanson d’un matelot dans les cordages : “une fille d’Irlande amoureuse
et farouche...”. Elle demande à Brangäne, sa suivante, de lui ramener Tristan, qui ne vient pas.
Brangäne, à qui Kurwenal chante une chanson provocante évoquant Morold rapporte à Isolde le refus
de Tristan et celle-ci, se croyant dédaignée, rappelle alors les événements qui ont précédé le lever du
rideau (l’enfance de l’orphelin, le combat contre Morold, fiancé de la Princesse, la blessure et la
guérison de Tristan, le désir de vengeance d’Isolde et le regard de Tristan qui l’a désarmée...).
Maintenant elle se voit trahie car Tristan doit la livrer à Marke. Brangäne présente le coffret des
philtres dans lequel Isolde prélève un poison qu’elle destine à Tristan.
Kurwenal, l’écuyer de Tristan, annonce que la terre est en vue ; il va chercher son maître
tandis que Brangäne, sur l’ordre d’Isolde, verse le poison dans la coupe. Lorsque Tristan entre, Isolde
lui reproche la mort de son fiancé Morold : Tristan lui doit réparation ! Celui-ci présente son épée à
Isolde (“Voici mon épée, frappe-moi, je consens à mourir”) qui répond : “Non, non, ce n’est pas la
mort, c’est la réconciliation que je t’offre ; buvons ensemble, voici le breuvage”. Isolde tend la coupe à
Tristan qui a compris qu’elle veut l’empoisonner. Il boit d’un trait ; Isolde lui arrache la coupe qu’elle
achève de vider ; ils attendent ensemble la mort. Mais à peine ont-ils bu qu’ils s’étreignent. Brangäne
avait habilement substitué les breuvages en leur versant l’amour en place de la mort.
La nef touche au port, les marins crient leur joie. Brangäne et Kurwenal séparent Tristan et
Isolde qui s’avouent leur amour ; on jette un manteau d’apparat sur les épaules d’Isolde ; Marke
survient déjà.
Acte 2 : La nuit.
La lune éclaire le parc du château sur lequel ouvrent les appartements d’Isolde. C’est la nuit,
une nuit d’été parfumée. On entend des fanfares de chasse royale. Isolde sort, en grande agitation.
Elle va éteindre la torche dont la lueur tient encore Tristan éloigné, mais Brangäne lui conseille
prudence et voit en cette chasse nocturne quelque piège de Melot, Chevalier à la Cour du roi Marke.
Isolde éteint la torche, Tristan accourt, les amants se jettent dans les bras l’un de l’autre et entament
un immense duo d’amour.
Le jour paraît. Kurwenal devance de justesse le Roi qui, prévenu par Melot, survient
inopinément. Marke reste saisi de stupéfaction à la vue du couple qui l’a trahi. Tristan ne dit rien mais
invite Isolde à le suivre à Karéol, son château au bord de la mer. Melot bondit de rage, dégaine l’épée
; Tristan, blessé, s’affaisse dans les bras de Kurwenal. Isolde se jette sur le coeur de Tristan. Marke
retient Melot.
Acte 3.
En ce dernier acte, Tristan repose, veillé par Kurwenal, dans la cour de son manoir de
Bretagne qui surplombe la mer. Kurwenal attend l’arrivée d’Isolde qu’il a prévenue. Un berger posté
sur la falaise jouera une chanson guillerette sur son chalumeau dès qu’il apercevra la voile : pour
l’instant, on n’entend que mélodies tristes. Tristan reprend conscience, ne pense qu’à Isolde. L’air
joyeux éclate. Kurwenal court accueillir Isolde. Tristan resté seul ne contient plus son exaltation : il se
dresse, arrache son bandage mais s’effondre au milieu de la scène. Isolde arrive, se précipite, entend
Tristan murmurer une fois son nom à elle, avant d’expirer. Isolde glisse évanouie sur le corps de
Tristan. Le berger annonce l’arrivée du vaisseau de Marke. Kurwenal organise la défense de Karéol
mais les soldats de Marke, Melot en tête, enfoncent les portes du château de Tristan. Kurwenal tue
Melot avant de tomber, lui-même, mortellement blessé. Isolde, retrouvant ses sens, se libère des bras
de Brangäne qui lui dit avoir avoué le subterfuge au roi Marke venu pour pardonner et unir les amants.
Isolde se lève et sans écouter le Roi, entame une mélodie enivrée tandis que le motif amour-mort
monte doucement de l’orchestre et enfle lentement en la plus passionnée des extases avant
d’atteindre un paroxysme instrumental. Il semble à Isolde que Tristan vit et que leurs âmes, unies pour
toujours, s’élèvent ensemble dans l’étendue infinie. Le chant d’Isolde grandit, s’élargit et, souriante,
elle mêle son souffle, comme transfigurée, au souffle immense de l’Univers. Marke bénit les corps de
Tristan et Isolde.
Tragédie grecque, dans sa simplicité, que cette histoire, puisque les péripéties n’en sont
autres que les différentes phases de la passion à coeur nu. A la manière classique, deux suivants,
Brangäne pour Isolde et Kurwenal pour Tristan, sont chargés de recueillir les impressions des héros
du drame et de nous aider par leurs confidences à suivre la succession d’émotions qui vont conduire
le récit à son dénouement. Tout l’intérêt de l’oeuvre résidera donc, un peu à la manière des anciens
conteurs, dans l’expression des sentiments tour à tour ressentis par Isolde et Tristan et dans la
notation musicale des mobiles (ou motifs) qui sont les vrais ressorts de la progression dramatique.
Dès lors, c’est à l’interprétation que reviendra la nécessité de nous mettre en mesure d’appréhender
totalement, sinon exclusivement, les raisons intimes du drame.
Dans cette tragédie, comme dans celle de l’Eden (mais n’y a-t-il pas identité de la révélation
religieuse et de la révélation amoureuse ?), c’est la femme qui défie le ciel - avant cette dissolution
finale des âmes dans l’âme du monde, dans l’essence de l’univers, à l’issue de cette “révélation par
les sons du mystère de l’existence” en les termes mêmes du compositeur.
“LIEBESTOD”
ODER
“VERKLÄRUNG”
“MORT D’AMOUR”
OU
“TRANSFIGURATION”
Mild und leise wie er lächelt,
Wie das Auge hold er öffnet,
Seht ihr’s, Freunde ? Säht ihr’s nicht ?
Immer lichter wie er leuchtet,
Stern-umstrahlet hoch sich hebt ? Seht ihr’s nicht ?
Wie das Herz ihm mutig schwillt,
Voll und hehr im Busen ihm quillt ?
Wie den Lippen, wonnig mild,
Süßer Atem sanft entweht :
Freunde ! Seht !
Fühlt und seht ihr’s nicht ?
Höre ich nur diese Weise,
Die so wundervoll und leise,
Wonne klagend, alles sagend,
Mild versöhnend aus ihm tönend,
In mich dringet, auf sich schwinget,
Hold erhallend um mich klinget ?
Heller schallend, mich umwallend,
Sind es Wellen sanfter Lüfte ?
Sind es Wolken wonniger Düfte ?
Wie sie schwellen, mich umrauschen,
Soll ich atmen, soll ich lauschen ?
Soll ich schlürfen, untertauchen ?
Süß in Düften mich verhauchen ?
In dem wogenden Schwall,
In dem tönenden Schall,
In des Welt-Atems wehendem All,
Ertrinken, versinken, unbewußt...
Höchste Lust !
Doux et serein, comme il sourit
Comme il ouvre les yeux d’un bel air avenant,
Le voyez-vous, amis ? Ne le verriez-vous pas ?
Lumière toujours plus éclatante
Qui va se fixer là-haut
Au rang des étoiles resplendissantes !
Ne le voyez-vous pas ?
Son coeur se soulève si fièrement
Et palpite en une si noble plénitude,
De ses lèvres s’exhale, frais et doux,
Un souffle d’une tendre suavité, amis, voyez !
Ne le sentez-vous pas ? Ne le voyez-vous pas ?
Entendrais-je seule ce murmure
Qui m’envahit si merveilleusement,
Si paisiblement, si délicieusement dolente,
Aveu total, doux recommencements
Dont il est source qui me pénètre, s’élève,
M’emplissant de sa volupté, de ses nappes de son.
Plus claires maintenant et ondoyant autour de moi,
Sont-ce des courants de molles brises ?
Sont-ce des vagues d’enivrantes senteurs ?
Comme elles s’enflent en une houle qui m’enrobe !
Dois-je respirer ? Dois-je écouter ?
Dois-je inhaler et me fondre ?
Dois-je livrer mon souffle à ces exquisités ?
Dans ces flots ondulants,
Dans ces modulations d’harmonies,
Dans l’esprit qui palpite en un seul battement,
Se noyer, sombrer, inconsciente...
Joie suprême !
La première de l’opéra Tristan und Isolde eut bien lieu à Munich en 1865 mais le Vorspiel
(Introduction) et le finale du troisième acte étaient déjà connus, car souvent donnés en concert avant
cette date. Wagner parlait de Liebestod (Mort d’amour) pour désigner le Vorspiel et de Verklärung
(Transfiguration) pour le finale. Mais, parce que la transcription pour piano du finale faite par Franz
Liszt sous la désignation de Liebestod, transcription précédée d’une citation de quatre mesures
extraites du duo du 2e acte “sehnend verlangter Liebestod !” (toi qu’on désire, mort d’amour !), connut
une diffusion plus rapide que celle de l’opéra, l’appellation Liebestod devait généralement l’emporter
et s’imposer à l’encontre des précisions mêmes de Richard Wagner essayant de définir pour Mathilde
Wesendonck ce mystérieux royaume auquel aspirent ses deux protagonistes. Il s’interroge : “le
nommerons-nous la mort ou bien est-ce le domaine enchanté de la nuit, duquel, ainsi que le conte la
légende, un lierre et une vigne surgirent enlacés étroitement”, retrouvant ainsi, au passage, l’écho du
“estroited embrachiez” de Béroul.
Nombre de cantatrices, du coloratura au contralto, à la scène comme au disque, ont tenté
l’épreuve du Verklärung, scellant en quelque sorte de leur personnalité ce grandiose aboutissement
d’une oeuvre exceptionnelle qui se referme sur un accord parfait dans tous les sens du terme.
Cylindres, disques noirs, microsillons, disques compacts, cassettes numériques ou enregistrements
audio-visuels conservent jalousement - sinon impitoyablement - les marques d’une traversée où
l’écueil affleure à chaque instant.
Les balises en sont pourtant connues.
1)
Immer lichter wie er leuchtet
(Flamme ardente, comme il rayonne)
Toute la tessiture vocale ou presque d’un soprano figure ici, allant du mi bémol grave au la
bémol aigu, couvrant l’étendue du médium et du haut-médium. C’est la tessiture la plus délicate à
chanter en legato absolu (laissons de côté le faux problème du “passage”), celle où l’on voit la place
de la voix, la couleur, s’il y a grossissement ou amenuisement du son et donc aptitude à respecter
l’unique couleur d’émission voulue.
Le problème du la bémol est qu’il y faut rayonner, d’où ces tentations d’effet vocal ou de forte
sur cette note qui amène à forcer ou à empâter le haut médium, les voix légères s’y égosillant, les
autres en faisant un “camion” sinon un “autobus à impériale”. Tout Wagner serait, soi-disant, trop
bas... “Dulce la voiz e bas li tons”, précisait Thomas.
2)
Sanft entweht (qui s’exhale)
Il faut tenir ce pianissimo sur le sol aigu et le prolonger à l’octave grave marquée en legato
continu. Wagner demande un pianissimo en fin de souffle, là où, généralement, la voix détimbre ; de
plus, l’écriture musicale monte et descend.
3)
Höre ich nur diese Weise
(entendrais-je seule ce murmure)
Commence, ici, le Verklärung proprement dit, la voix prenant une dimension nouvelle, plus
éthérée, plus large, plus somptueuse qui va aller crescendo jusqu’à se perdre dans l’infini.
4)
Wonne klagend
(plainte suave)
Les gruppetti, ces groupes de notes tournant autour d’une note centrale, doivent être produits
dans le souffle et soutenus en souplesse (tout le problème du bel canto bellinien, en résumé). La
remarque vaut également pour l’orchestre.
On sait l’admiration que Wagner portait à Bellini. Nommé Chef d’orchestre du Stadttheater de
Riga, l’un des premiers soucis de Richard Wagner fut de monter Norma, le 11 décembre 1837 ;
Amalia Planer, sa belle-soeur, chantait le rôle-titre, come è scritto, n’en déplaise à ce grand patron des
petites mains d’une maison de prêt à portées découvrant émerveillé, (à l’entresol sans doute!), le
“contrefa” d’une Callas dans une Norma d’évidente haute-contrefaçon.
5)
Um mich klinget
(résonne autour de moi)
Ce que, sotto voce, d’aucuns s’obstinent à appeler le “passage” de la voix, le soi-disant fa des
soprani. L’interprétation s’impose impérativement, d’où la très grande intensité à donner au mi dièse
qui doit être tenu cinq temps. Le mi bécarre final est généralement gloussé, à bout de souffle ou
inexistant.
6)
In dem wogenden Schwall, in dem tönenden Schall,
in des Welt-Atems wehendem All
(dans ces flots ondulants,
dans ces modulations d’harmonies,
dans l’esprit qui palpite en un seul battement)
L’image même de la vague miraculeusement reproduite en un saisissant relief jusqu’à son
ultime ressac. La retombée du dernier sursaut pris à la limite de l’expiration fait qu’on ne peut contrôler
ici la place de la voix qui doit rester sur une seule (sinon la seule) ligne de chant.
Avec le maintien du ton dans le médium relativement bas à cause du mi, on tourne autour de
cette note de plus en plus soutenue jusqu’à l’épuisement. Tous les genres de registres s’y sont
aventurés au risque de perdition.
Le mezzo se complaît dans cette tessiture lourde et porte le sol dièse à son maximum.
L’endroit va se révéler trop profond pour le soprano lyrique qui quitte la ligne de chant et tire
vers l’aigu.
Le frêle esquif du soprano léger glissera sur le passage en un ingouvernable staccato avant
de disparaître à l’endroit du si medium.
Restent les rarissimes voix gardant la ligne de chant sur le timbre, sans louvoyer et qui
maintiennent, contre vents et marées, le cap sur les Iles Heureuses.
7)
Höchste Lust !
(Joie suprême)
Le verbe qui n’est plus chair se fond maintenant dans la dynamique de l’univers ; la
séparation, si séparation il y a, n’est marquée que par la double barre de l’accord parfait qui clôt la
partition (la consonne “t” de Lust doit être nettement entendue).
“Ysolt chante molt dulcement,
La voiz acorde a l’estrument,
Les mains sunt beles...
Dulce la voiz e bas li tons”
Thomas

 




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