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La le�on de Musique

 
La leçon de Musique Content : La Leçon de Musique, scène du Barbier de Séville (Rossini)
Victor Hugo aimait-il la musique ?
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Franz Peter Schubert, Bicentenaire (1797-1997)
Robert Schumann (1810-1856), musicien de Zwickau
Richard Wagner, musicien de Meudon (1813-1883) & Stéphane Mallarmé
La Canso de Gasto Febus à Frédéric Mistral, «Koïné lyrique» ou «voix d'un peuple»?
Gabriel Fauré (1845-1924) Musicien d'Ariège
Gabriel Fauré, musicien de Verlaine
Le dernier Concert de la Salle Gabriel Fauré
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Tourgueniev - Gounod - Mireille
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Gabriel Fauré, musicien de Verlaine

 

La Bonne Chanson,
Cinq Mélodies (op. 58) dites de Venise

         C’est à Winaretta Singer (Winnie), Princesse Edmond de Polignac, que revient l’idée d’avoir voulu apparier les talents de Verlaine et de Fauré en leur demandant d’écrire, de concert, un ouvrage lyrique qui inaugurerait fastueusement son grand Atelier (le “Hall” selon Marcel Proust) de la rue Cortambert.

         La Princesse invita donc Gabriel Fauré à Venise pour quelques jours d’existence divine ; Fauré y commença son op. 58 (Mandoline, plus précisément) tandis que Verlaine entamait sa lente tournée des Hôpitaux où le compositeur devait essayer de le joindre, “lit à lit avec des quelconques”, pour esquisser des projets reportés en rendez-vous manqués, et qui ne devaient jamais véritablement aboutir, en dépit des libéralités de la Princesse ou de la fameuse lettre de Verlaine à Fauré du 16 avril 1892, datée de l’hôpital Broussais (ou était-ce l’hôpital Watteau ?), retraite favorite du pauvre Lélian (il y fit neuf séjours), lettre truffée d’ironiques anglicismes (Collection Madame Fauré-Frémiet).

         Car “tout cet ail de basse cuisine” (Verlaine, Art Poétique) dont les aïeux de Gabriel Fauré, homme du Sud par excellence, piquaient les gigots de leur clientèle endimanchée afin de les mieux “amanhàguer” (amadouer) tout en prenant nouvelles du Petit-dernier ou de l’Ancien qui n’avançait plus qu’aux lampées du vin de Varilhes, tout cet ail ne pouvait évidemment pas inspirer Paul Verlaine, homme du Nord avant tout :

“Flux de verve gauloise et flot d’aplomb romain,
Avec, puisque un peu franc, de bon limon germain,”

         Verlaine qui préféra toujours les menus renforcés (“l’appétit avait de la dent”) des Hôpitaux de l’Assistance Publique (“Je me nourris de gluten, de viandes rôties, de légumes verts, et ne bois que de bon vin” : “Aï, Beaune, Sauterne, Grave” ou le divin Château Batailley ?) à défaut de brumeuses siestes devant un verre d’absinthe verte en tels cafés de la Rive Gauche (“des cafés que traverseront des bandes de musique”) aux lisières mêmes de ces Paradis artificiels, tels que dans le Kaléidoscope où les hommes ne sont plus que masques ou bergamasques sous de calmes clairs de lune ou d’évanescents clairs de l’âme en d’étran-ges songes d’une nuit d’été.

         Monsieur le Répétiteur-Surveillant général Verlaine, col-cravate comme à l’Etude, se piquera toujours — en effet — de savoir l’anglais. Il lira Shakespeare (et ses Bergomasks) ou Dickens, dans le texte, lors de sa villégiature à la Prison de Mons ; il séjournera à Londres ou dans les Provinces, en compagnie ou non de Rimbaud, “la petite crasse” (voir, entre autres, le duel grammatical Verlaine / Rimbaud dans la lettre de Verlaine du 18 mai 1873, datée de Boglione) qui devait l’entraîner sur des “chemins perfides”, pour mieux apprendre la langue d’Edgar Allan Poe, son pair en dipsomanie, avant de l’enseigner aux écoliers de Rethel ou de Reims. “Vôlez-vô dire à môa...”, aimait-il apostropher ses élèves pour leur mieux inculquer le tonique accent. Monsieur le Directeur Fauré se contentera, lui, de tirer l’aviron sur la Tamise.

         La Haute-Normandie de Saint-Saëns aurait pu momentanément rassembler le Poète et le Compo-siteur (les Mauté de Fleurville, dont Mathilde, séjournant au Château de Gouëlle, près Neufchâtel-en-Bray et les Baugnies, amis et admirateurs de Fauré, en leur résidence de Cuy-Saint-Fiacre) à défaut des chemins de halage de la Scarpe ou des berges de la Seine à Bougival où Fauré retrouvera, En Sourdine, les émois de ses propres fiançailles avec Marianne Viardot, en une méridienne passion pour Emma Bardac (“D’aucuns clabaudent sur ton âge, qui n’est plus seize ans ni vingt ans”), la belle égérie des grands mélodistes français, lors des Nuits d’Eté au Prunay (L’Hiver a cessé !). Fauré, d’ailleurs, avouera : “Je n’ai rien écrit jamais aussi spontanément que La Bonne Chanson. Je dois ajouter que j’y ai été aidé par une spontanéité de compréhension au moins égale de la part de celle qui en est restée la plus émouvante interprète” (Lettre de Fauré à Roger-Ducasse, 17 mai 1923) et même si “les jeunes musiciens sont à peu près unanimes à ne pas aimer La Bonne Chanson”, comme le regrettait, de son côté, Marcel Proust. Pour Paul Verlaine, comme pour Fauré, bien sûr,

“A vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d’amoureuses flammes
M’a fait trouver belles les femmes,
Elles ne m’ont pas trouvé beau.”

         Il faudra donc attendre la rencontre de Mathilde Mauté et de Paul Verlaine, à Montmartre, pour exorciser cette injustice, avant la formelle demande en mariage d’une Sainte en son Auréole (A ma bien aimée Mathilde Mauté de Fleurville),

“Bientôt nous porterons envie
Tellement nous nous aimerons,” (Paul Verlaine);

         Mathilde, petite bourgeoise ingénue dont la voix était de “musique fine”, en robe grise et verte auprès de ce piano (Concert Pleyel) “que baise une main frêle” et qui “luit dans le soir rose et gris vaguement”. Un piano qui — dans sa tunique de probité — et loin des orgies de l’Artois ou du Boulevard des Batignolles où les Escarpes et leurs Dames s’aventurent jusqu’à la rue de Douai où réside Pauline Viardot et d’où Berlioz s’élançait vers le Château des Brouillards d’où l’on peut encore dévaler jusqu’à Notre-Dame de Clignancourt ; un piano qui permettait de re-connaître (“lent réveil après bien des métempsychoses”) “un fin pays d’eau vive et de côteaux” où les fontaines sous la lune blanche font “un bruit d’assassins postés se concertant” (ô Pelléas, ô Mélisande !).

         D’autres chanteront le Verlaine poète de la nuance, de l’imprécis, de l’impalpable, des vers qui traînent l’aile ou qui boîtent telle la perdrix avant le brusque envol qui surprend toujours le chasseur, le Verlaine des états d’âme (Spleen), du chuchotis, de la confidence absolue (Extase), le Verlaine sensible au son autant qu’au sens (J’ai presque peur) ou à cette voix

“Qui fait comme du bien et du mal à la fois
Et le mal et le bien, tout a les mêmes charmes,”

cette voix que Fauré, seul (Verlaine n’est-il pas “exquis à mettre en musique” ?), reconnaîtra dans les confidences d’Emma Bardac ; une voix sertie dans un écrin d’arpèges pianistiques, d’instabilités harmoniques, qui refuse toute couleur (“Je vous montrerai volontiers le bureau de Gabriel Fauré”, lettre de Madame Blanche Fauré-Frémiet à Claude d’Esplas, 10 mars 1979), où ne règne que la nuance et qui tord le cou à l’éloquence et qui va, “fleurant la menthe et le thym”, comme dans les prés fauchés de neuf au cœur des mois de juin de la Barguilhère ; une voix à satisfaire “les belles écouteuses” avec de lointains souvenirs de mandoline ou de balancements de gondoles, une voix “moyenne” au timbre d’opéra “avec de l’allant et sans ralentir”, comme les appréciait Fauré qui exécrait les “gosiers délicats”, une voix de mesure (Fauré était “un vivant métronome”, insistait Claire Croiza), une voix disciplinée pour une “interprétation difficile : lente de mouvement et agitée d’expression, heureuse et douloureuse, ardente et découragée” (Lettre à Winaretta Singer, au sujet de Green) ou encore, comme il le conseillait à la belle Madame Baugnies : “ne pas chanter lentement, l’allure est vive, émue, presque haletante”, directives qu’essaieront de suivre — accompagnateurs plus ou moins aidant — les Raunay, Balguerie, Bréval, Croiza (“la partie vocale est difficile à fixer”, s’étonne celle-ci) ou Madeleine Mathieu ou autres Lubin : “J’étais au Conservatoire lorsque Gabriel Fauré en était le Directeur et pendant quatre ans, il me faisait chercher à ma classe, et me faisait chanter beaucoup de ses mélodies. J’ai été aussi sa Pénélope à l’Opéra. Il m’aimait beaucoup” (Lettre à Claude d’Esplas, 20 mars 1978).

         Une voix qui rendra donc au mieux ces “opéras de chambre” ou ces “symphonies d’appartement” que sont les cycles de mélodies fauréennes, ensembles dans lesquels instrument et chant fusionnent au point de rassembler — en fin de compte et à jamais — “cette chair accroupie et cet esprit malade”, accomplissant ainsi le vœu le plus secret du Prince des Poètes qui, seul, Mallarmé l’affirme : “affronta dans toute l’épouvante, l’état du chanteur et du rêveur”.

CLAUDE D'ESPLAS - La Leçon de Musique
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