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La le�on de Musique

 
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Franz Peter Schubert, Bicentenaire (1797-1997)
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Richard Wagner, musicien de Meudon (1813-1883) & Stéphane Mallarmé
La Canso de Gasto Febus à Frédéric Mistral, «Koïné lyrique» ou «voix d'un peuple»?
Gabriel Fauré (1845-1924) Musicien d'Ariège
Gabriel Fauré, musicien de Verlaine
Le dernier Concert de la Salle Gabriel Fauré
Rachmaninov, musicien d'Ivanovka
Tony Poncet, Ténor (1918-1979)
La Violetta du Siècle
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Hommage à Yves Nat (1890 -1956)
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Gabriel Fauré (1845-1924) Musicien d'Ariège

 

         A l'heure des souvenirs, Gabriel Fauré confesse à L'Echo de Paris (avril 1924) qu'il a grandi dans “une région de toute beauté, riante, magnifique, splendide...” et d'ajouter : “J'y ai même pensé si souvent lorsque je composais... que beaucoup de mes œuvres, j'en suis à peu près sûr, doivent porter la trace encore des promenades que je fis, tout petit garçon, dans ce beau pays de mes pères...”.

         Le petit Gabriel (devrait-on dire Ariel ?) est né le 12 mai 1845, rue Major à Pamiers, d'une lignée ariégeoise de Calibans de l'enclume (“faure” veut dire “forgeron” en langue d'Oc) reconvertis dans l'étal avant de manier la plume. Du côté maternel, les Lalène-Laprade, descendants d'un demi-solde du Premier Empire tiennent leur rang à Gailhac-Toulza, localité jouxtant la Basse-Ariège sise à quelques lieues de Canté, village qui donna un pape à l'Inquisition : “l'Ariège produit des hommes et du fer” énonçait lapidairement Bonaparte.

         Le marteau d'Albérich, Gabriel Fauré en entend monter les sonores échos des forges du Moulinéry lorsque ses parents s'installent dans les locaux de l'Ecole Normale de Montgauzy qui, selon l'un de ses directeurs, “présente de loin l'aspect d'un Vaisseau Fantôme” ; l'enfant de quatre ans redira au compositeur la symphonie des cloches de Ganac et de Cadirac aux instants de l'angelus qui scande le début de l'andante du second Quatuor. Les Murmures de la Forêt, Siegfried-Gabriel les écoute sur les pentes du Prat d'Albis ou sous les grands cèdres de la cour de l'Ecole au-dessus desquels tournoient, tels des Rolands furieux, lesRamiers de septembre : ils reconnaissent mal l'oratoire miraculeux dressé par Charlemagne et qui abrite “cet harmonium dans cette petite chapelle,... toutes les fois que je pouvais m'échapper, j'y courais et me régalais” remplacé par le Debain 1867 qui aida à la création des Noces de Cana (Lé Maridadge de Cana).

         La Marche des Pèlerins, Tannhäuser-Gabriel l'accompagne lorsqu'il rejoint les grandes orgues de quelque orthodoxe capitale comme Rennes ou Paris, à défaut de l'indulgente Rome. Mais l'abbé Almire le Rebours, curé de la Madeleine, ne lui rappelle que de fort loin la touchante bonhomie du curé de Rieucros venant chercher le petit Lohengrin-Gabriel, tout de blanc vêtu, chez sa nourrice à Verniolle, avant de l'entraîner au trot de la “cabalho” (la jument) tirant la carriole vers Mirepoix et son Collège où le répétiteur Pagnol devait se forger une âme de Topaze et jusqu'aux limites de l'Aude du côté de Saint-Gaudéric où l'on danse si bienLa Troumpuso (la Trompeuse) que Raymond Escholier et Roger Ducasse s'y sont eux-mêmes trompés mais pas le Secrétaire général honoraire de la mairie de Pamiers lorsqu'il en fit l'indicatif d'une émission radiophonique (l’Inquisition, 1983) qui fera date dans l'histoire de cette ville.

         De Pamiers et de son Castella où son médaillon - signé Méric - accueille le visiteur, Gabriel Fauré conservera le charme nostalgique des venelles et des Jardins clos qu'ourlent les vaguelettes d'un canal subtil ; il en retiendra les Nocturnes et lesSecrets, la lumière nimbée de Notre-Dame du Camp, les prônes en "oc" du Père Amilha qui dédia un cantique à Notre-Dame de Montgauzy (l'interlocutrice de Bernadette a toujours compris le patois !) ; les teintes des Automnes tendres dans les vignes roussies où flotte encore comme un relent de moût, les bleus intenses des nuits brûlantes où les Amours sont “chose légère”. Il gardera le souvenir de la route d'Escosse qui, contre vent et pierrailles, du côté d'Esplas par Brie ou de Villeneuve-Durfort, serpente au milieu des “rastoulhs” qui nourrirent plus d'oies que n'en gava jamais le Capitole (“grrrrand Théâtre” compris !) : chaumes parfois couronnés d'un Cimetière autour duquel cliquète la moissonneuse tandis qu'à l'ombre des cyprès brûlés d'azur attend la “Dame-Jane” emplie du vin de Noah qui étanche aussi bien la soif des métayers que celle de ce dernier curé de campagne, incomparable instrumentiste, abreuvant ses ouailles de l'élixir de Faust (ou était-ce celui des “Pêcheurs de Pinsaguel” ?) sous l'œil courroucé de quelque servante au grand cœur.

         De Foix, les dimanches d'été, on quitte Villote ou Flassa pour la montagne dont les crêtes du côté de Suc et de sesBistrounquets ont le contour de la Romance op. 28 pour violon et piano ; ou bien, l'on gagne à pied, sac au dos, la Tour Laffont d'où l'œil plonge sur la vallée de Massat et ses Liadouros ou devine sur l'autre pente la vallée d'Ercé et son joyeux vicaire (Le Vicaré d'Ercé), ou encore Bethmale et ses jolies filles aux sabots si élégamment retroussés par leurs galants et dont la célèbre Berceuse eut l'heur d'accompagner le sommeil suprême de Leonid Brejnev (15 novembre 1982). Le Voyageur Fauré n'avait-il pas lui-même accompli le voyage de Russie en novembre 1910 et ne compta-t-il pas aux rangs de ses auditeurs de marque la Reine Alexandra, l'Empereur Guillaume II et la Tzarine de Russie ?

         Le retour s'effectue Au bord de l'eau, via les sources de l'Arize et les prés de Toch, paradis des “Dalhaires” (faucheurs), qui enserrent le torrent de cristal où les schubertiennes truites noires happent les longues sauterelles vertes, ivres du suc des foins mûris contre les haies de buis âcre au pied des châtaigniers géants. Cette Arize qui, plus avant, fore l'immense grotte préhistorique du Mas d'Azil dont on détourna le mugissement dans les années 1924, 1925, 1926 le temps d'une représentation de PolyphèmeLa fille de Roland ou Sigurd, pour permettre au public venu du Midi entier de s'ouvrir à la voix de Madame Frozier-Marrot emplissant la voûte de cet opéra naturel ; l'Arize redevenue souriante au pied du Carla de l'austère Pierre Bayle et que contempla “Noùste Enric” (Notre Roi Henri) au lendemain de sa nuit passée dans l'étonnant château de Pailhès où flotte encore comme le doux parfum de Margaridèto.

         L'Or de l'Ariège, Gabriel Fauré l'orpaillera moins du côté de l'Hospitalet et de Tarascon (patrie d'Armand Silvestre, à qui Maria dels Caminets a rendu son lustre local en sa traduction “oc” des textes français du Maître) que dans le Quérigut aux Noëls vertigineusement sublimes (Cantem toutis la neïssenço ...) ou vers Prades-Montaillou, villages moins occitans que ne veulent bien nous l'assurer les Marchands du Temple de la chose Romane : car Fauré restera dans la ligne de l'hérésie, celle ouverte par le troubadour Guilhelm Montanhagol, puisqu'il prendra la présidence du Comité pour le monument à Esclarmonde (“une femme ose défier Innocent III, lui disputer le sceptre des âmes, les clés du ciel et de l'enfer”, selon l'heureuse formule de Napoléon Peyrat des Bordes-sur-Arize) lui qui avait pourtant cru mettre dans son Requiem tout ce qu'il avait pu posséder d'illusion religieuse et qui, saisi par “l'image terrible de Parsifal” estimait que “le mysticisme musical est forcément borné dans ses manifestations”... et qu'on ne peut pas “renouveler cela”.

         On pouvait renouveler cela... En témoigne le Concert Exceptionnel Wagner, Hommage au Comté de Foix (15 juillet 1984) donné entre les murailles de la forteresse de Montségur, concert qui permit que l'on ajoute la Fleur jetée de Gabriel Fauré à la “gralho” (le Graal)des chants "cathares". Car la langue de ses pères, le compositeur ne l'a pas plus oubliée qu'il n'a oublié les Chants de son pays : il assistait tous les ans aux réunions de l'Amicale des Ariégeois de Paris où l'on chantait à l'unisson leArièjo, ô moun Païs de Sabas Maury, curé de Varilhes et Aqueros Mountànhos, cet hymne pyrénéen attribué à Gasto Febus, plus ancien en réalité et “dont la musique a l'air d'être en patois” ; musique qu'il préféra à LucreziaManon et Werther (il le dit lui-même), comme il aima l'Ariège mieux que le Beau Danube Bleu si nous en croyons ce qu'il écrivait à sa fiancée Marianne Viardot.

         Fauré appréciait également polkas, quadrilles et mazurkas qu'il dansait à l'occasion, comme aux grandes fêtes de Foix (Las Festos de Fouïch) car après tout n'est-il pas, Proust le voit ainsi, “ce grand musicien... aimant uniquement et profondément les femmes” ?

         La cité comtale, il la retrouve une dernière fois en 1921 après l'été passé à Ax-les-Thermes près du Bassin des Ladres d'où l'eau volcanique sourd brûlante d'entre les pierres en face de cet Hôpital que Saint-Louis fit ériger pour les rescapés de toutes les Croisades (l'Albigeoise exceptée !) et avant un ultime clin d’œil à la verrière enfumée de la gare de Pamiers, ville où il avait ouvert les yeux sur le monde des sons.

         Les Fauré / Lalène-Laprade reposent dans le petit cimetière de Gailhac-Toulza, brûlé par ce soleil qui craquèle la terre et fendille les plaques naïves dont le temps et les intempéries érasent l'identité, cimetière en pente douce qui descend jusqu’aux vignes.

         De la rue des Vignes, Gabriel Fauré viendra en voisin jusqu'au cimetière de Passy où le rejoindra - pour quelque dernière Messe Basse sans doute - son vieux complice de Bayreuth, André Messager et aussi - pour quelque ultime “quatre mains” en l'honneur de l'Ariège peut-être - l'immense interprète Yves Nat qui, le 7 décembre 1931, donna au Trianon de Foix le concert que l'on sait.

         “Prenez un peu de mon émotion, je vous prie, pour que je n'y succombe pas”, disait très simplement le Maître.

CLAUDE D’ESPLAS
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